top of page

Texte écrit pour l'artiste Bruno Paul Largy
« L'espace émotionnel »

Il a pu nous arriver une fois de nous retrouver devant une porte fermée sans savoir ce qui se trouvait derrière, éprouvant à la fois un sentiment d’inquiétude et une vive curiosité. C’est parce qu’une porte fermée est faite pour s’ouvrir. Nos rêves se nourrissent de ces moments, invoquant cet entredeux, ce point de passage par où l’homme se donne le moyen de franchir les bornes qu’il a lui-même assignés à son espace.
Bruno Paul Largy nous propose cette rencontre insolite avec une porte, mais une porte monumentale dont la courbure ajoute encore à l’étrangeté de son architecture. Elle est haute de 6 mètres 18, une hauteur correspondant au record mondial du saut à la perche. 
Est-elle promesse d’hospitalité, d’enfermement ou simple passage ? Offre-t-elle une percée, une échappée, un franchissement qui vaudrait autant pour la vie terrestre que pour celle de l’esprit ? 
Partagée entre un dedans et un dehors la porte incarne, selon Bachelard, « un petit dieu de seuil ». Et nombreuses sont les références culturelles qui se rapportent à cet objet somme toute assez ordinaire. On pense, entre autres, à la porte de l’enfer de Dante, à celle du royaume de Saint Pierre ou encore à Janus avec ses deux visages représentant le passé et l’avenir, ce dieu romain des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes. 
Quoi qu’il en soit, le sujet de cette sculpture semble atemporel. Il évoque autant la monumentalité de l’architecture des grands édifices modernes que celle de l’architecture antique qui dans les deux cas sont perçus comme des attributs du pouvoir des propriétaires fonciers. Mais cette porte pourrait tout aussi bien se trouver sur la scène d’un théâtre où est jouée une tragédie d’Euripide ou de Sophocle. Alors, puissance terrestre ou puissance imaginaire ? 

Sur l’œuvre de Bruno Paul se trouve un élément insolite qui attire notre regard. Il s’agit d’une tête de lion, animal d’ordinaire symbole du pouvoir, lequel verse étrangement des larmes dont on ne sait, au premier abord, si elles sont sincères ou trompeuses. Ce pourrait-être un hommage au Lion qui pleure de Rodin, artiste qui a également sculpté une porte de l‘enfer. Cette tête de lion fait partie d’un heurtoir, autre élément essentiel dans ce dispositif. Il apparaît toutefois que ce dernier n’est accessible qu’à l’un de ces géants issus de l’univers du merveilleux dont raffole les enfants et impose son inutilité à tout éventuel utilisateur. Cette association d’un lion éploré, symbole de la bravoure, des forces divines et de la justice, avec un heurtoir inaccessible évoque intuitivement l’impuissance. La porte, de par sa forme incurvée, pourrait faire office de barrage. Les larmes léonines pourraient alors y avoir leur source. N’oublions pas que heurter peut s’entendre comme entrer brusquement en contact avec quelque chose, mais aussi provoquer une résistance pour contrecarrer quelqu’un. 
Sur un autre endroit on peut lire l’acronyme VITRIOL qui évoque immédiatement le nom d’un acide agressif en contraste avec la surface reposante et majestueuse du bois sur laquelle les lettres sont incrustées. Il s’agit d’une phrase latine bien connue des alchimistes : « Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem qui signifie « Visite l’intérieur de la terre et, en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée », une phrase qui semble être une invitation à l’introspection, à un retour vers une vie intérieure apaisée et, pourquoi pas, un dépassement salutaire de nos émotions. 
Se trouve également au-dessus de l’ensemble un croissant de lune fait de matière réfléchissante. Celui-ci peut évoquer l’aspect nocturne de notre imaginaire, cet onirisme qui brouille les frontières entre le réel et l’irréel. La lune représente aussi le passage de la vie à la mort et de la mort à la vie. Dans certaine croyance elle est même le lieu de ce passage, un lieu qui serait réservé à des privilégiés.

Il appartient aux artistes de déchiffrer le monde à travers les formes symboliques que génère notre imaginaire. La force de la proposition de PB vient du choix d’un sujet qui permet de renouer avec une logique de l’imagination, laquelle ne doit jamais se confondre avec une explication rationnelle des choses. La subtile allusion au saut à la perche nous invite à penser un enjambement qui survolerait l’obstacle pour atteindre à une nouvelle puissance, celle qui serait propre à la création. Il pourrait alors s’agir de la quête d’un dépassement de soi dont l’art est parfois sujet à encourager les regardeurs. Mais la rencontre avec cet espace émotionnel pourrait aussi favoriser l’expérience d’une altérité qui conjuguerait ensemble la matrice de l’imaginaire collectif avec celle d’un bouleversement particulier pour in fine accéder à l’universel individu. 
 

bottom of page