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Texte écrit pour l'exposition de Stella Sujin & Elisabeth Lincot
« A l'orée du bois »

04 mai - 08 mai 2022

La galerie de l'OpenBach, 75013 Paris

Entre le réel et l’imaginaire il n’y a pas de frontière nette. Des deux côtés foisonnent des figures universelles qui façonnent notre vision du monde.

 

La présente exposition veut en témoigner avec un postulat fort : Il n’y a pas de lumière sans ténèbres et inversement. Elle nous invite à vivre une sorte d’expérience esthétique par laquelle le sentiment du beau, de l’étrangeté et de la peur s’entremêlent.

 

La forêt sombre, pleine de ses sortilèges, est une étendue qui tranche la lumière en mille éclats pour laisser la place forte aux ombrages. C‘est un espace immense, noir, terrifiant, humide, où toutes les pensées vont se heurter. Dans les plis de l’humus on s’imagine des étangs infernaux, le sombre Styx ou l’Achéron, séjours de la tristesse où l’esprit vagabonde autour de troncs carbonisés, de failles révélant la résurgence du magma en fusion ou la présence d’une ancienne mer de carbone. Voici donc les abords d’une étendue morne et inhospitalière, d’une végétation qui résiste aux bourrasques et plonge ses racines profondes et fibreuses dans un sol antédiluvien. Souvent, les cauchemars ne racontent pas autre chose. La céramique est sans aucun doute de nature à évoquer la résistance impétueuse de cet univers figée dans ses mouvements.

 

Dans ses autres aspects, la forêt apparaît également comme la source du merveilleux. Pleine d’une vigueur créatrice, elle nourrit les récits imaginaires d’un monde solaire où l’invraisemblable est accepté et s’éloigne du cours ordinaire des choses, en quête de la source miraculeuse du surnaturel. Un monde, certes sujet aux changements et menacé par la perte, mais aussi rempli de fontaines de jouvence aux eaux toujours vives, loin des simulacres fuyants des ténèbres. Aquosité trouble que l'aquarelle est propre à restituer, pouvant ainsi rappeler les fluides organiques jaillissant d’un orifice naturel ou d’une plaie, tels des larmes de sang.

 

Ombres et lumières ont donné lieu à un éternel combat entre deux forces adversaires puissantes, combat qui a inspiré plusieurs intuitions sur le monde. Autant de forces de polarisation qui engendrent des archétypes. Du côté de la lumière, se trouvent celles de l’ascension, de la raison, du progrès, de l’immensité divine. Du côté de l’ombre celles des étendues apocalyptiques, promptes au danger, à la peur, à l’oubli, mais encore à la sexualité, aux secrets inavouables. Un monde dans lequel évoluent des sorcières, des fantômes, des puissances chtoniennes qui procréent des monstres aux corps hybrides et toute sorte de mixtes contre nature.

 

Par-delà leur opposition, ombres et lumières savent se répondre en écho, voire se mêler l’une à l’autre, comme sous l’effet d’un puissant aimant qui agirait malgré elles. Elles ont chacune leurs lignes de fuite. Prenons pour seul exemple celui de l’oiseau et de ses ailes, cet outil ascensionnel par excellence qui permet au sorcier des rêveries volantes, poussé par un désir d’angélisme sorti des ténèbres, un désir de verticalité et de purification.

 

Nous sommes pris aujourd’hui plus que jamais dans les rets de ces deux oppositions fortes dans lesquelles sont noués ensemble l’urgence catastrophique et les dénouements salutaires. Qu’en est-il de notre dépendance à la nature qui nous apparaît à la fois nourricière et dévastatrice ? Qu’en est-il de nos vieilles alliances humaines à la fois parricides et humanistes ? Qu’en est-il des liens qui unissent hommes et femmes, à la fois promesse de postérité et d’inégalité.

 

Nous vivons dans un monde pour le meilleur et pour le pire. Mais le meilleur ne vient-il pas parfois du pire et inversement ? Que ce soit avec le Phénix qui renaît de ses cendres ou avec la chute d’Icare dans les tréfonds de la mer, l’imaginaire est toujours là pour s’en assurer et le réel pour le prendre en charge.

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