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Texte écrit pour l'artiste Véronique Grenier
« La plage de l'Amélie »

Partout dans la nature se trouve un terrain de jeu où il est possible de réaliser une œuvre onirique et fantastique, tel un territoire idéal dédié à l’imaginaire. Pour Véronique Grenier c’est la rencontre avec une plage qui aura été le déclencheur, dans un lieu composé de matières informes qui ouvrent le champ des possibles. Enfant, nous avons pu éprouver le besoin de manipuler ces matières dont la plasticité faisait de nous des bâtisseurs héroïques animés par la volonté d’élever des remparts éphémères contre les vagues. 
En découvrant une plage subissant les outrages d’une érosion accélérée par l’action humaine Véronique Grenier a inopinément trouvé la possibilité d’un projet artistique, car c’est ce lieu qui lui a permis de se retirer du monde pour se retrouver face aux éléments primordiaux et orienter son regard vers la sculpture. 
Ce n’est pas seulement avec du sable, mais aussi avec de l’argile du néolithique surgi du sol érodé qu’elle sculpte, utilisant un simple couteau et un système d’irrigation de petits filets d’eau chargé de fer rougeoyant. Elle travaille avec les ombres que la lumière naturelle façonne pour révéler des figures protéiformes qui évoquent une mythologie intime où se côtoient des dieux, des démons et tout un bestiaire propre à un monde géologique renouvelé. 
Les œuvres qu’elle fait émerger disparaissent chaque mois à la pleine lune ou pendant les grands coefficients de marées. Demeure seulement la mémoire de ce musée éphémère à ciel ouvert qu’elle conçoit comme un territoire sanctuarisé et qui garderait la trace d’un discours pluriel sur le monde, discours dont les paroles se seraient mêlées les unes aux autres. Car il s’agit avant tout de la quête d’une esthétique qui ne concernerait pas les formes, encore moins les « belles » formes mais se voudrait une tentative pour lier dans un même sensible des sciences comme la géologie, l’archéologie, l’anthropologie, disciplines ayant toutes maille à partir avec l’évanescence du temps.
Véronique Grenier a entrepris cette inlassable œuvre éphémère, dans la masse même d’une matière minérale instable située à l’emplacement du delta ancien, avec l’intention d’interroger la réalité de l’événement qui tire son sens du fondement même de la nature. Qu’est-ce qui nous apparaît de ce fond océanique et que peut-il révéler sous l’impulsion créatrice ? 
Si leur élaboration à l’abri de toute influence peut évoquer l’art brut dans son essentialité, les installations Land-art de Véronique Grenier recourent à une nature malmenée pour témoigner de l’inconséquence que l’homme peut manifester envers son milieu et les écosystèmes océaniques.

Car l’industrie de l’homme est chrono-phage, dans le sens où elle dévore, comme les dieux grecs se dévoraient entre eux, la matière tellurienne d’un temps stratifié que notre sol conserve, avec comme mot d’ordre inexprimé : qu’importe si tout doit disparaître.
Quels événements pourraient donc procéder de cet état des choses ? En regardant s’effondrer à chaque vaguelette le château de sable que nous avions moulé avec soin, nous éprouvons le sentiment mêlé d’une fin annoncée et d’un possible recommencement. Les œuvres de Véronique Grenier nous donne à vivre, le temps d’un cycle lunaire, la possible expérience de l’éternel retour d’un temps immémorial qui évoque la permanence tout autant que la disparition, nous invitant au-delà de tout fondement à aller vers le sans-fond de la création et du chaos.
 

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